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Titre | Lettre critique, a un ami, sur les ouvrages de Messieurs de l’Academie, exposés au Sallon |
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Date de publication originale | 1759 |
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, (Deloynes, VII, 90), p. 12-14
Mais puisque je suis en train de disserter, permettez-moi, Monsieur, une petite digression sur un point que l’Antiquité semble avoir adopté, et qu’on a faussement pris pour regle.
J’entreprends de combattre un abus reçu de tous les tems, confirmé par l’usage, et malheureusement suivi par de grands hommes. Je ne me flatte pas d’y réussir, mais j’aurai du moins fait tous mes efforts, et j’espere que les amateurs de la vérité m’en sauront bon gré. C’est du faux sublime, et du faux merveilleux que je veux parler ; j’ai tâché d’en découvrir l’origine, et je crois y avoir réussi.
Quand la peinture était encore au berceau, les artistes de ce tems étaient, comme on sçait, souvent obligés d’écrire au bas de leurs ouvrages : ceci est UN HOMME, UN BŒUF, UN ELEPHANT, etc. etc. Ils faisaient plus dans leurs tableaux d’histoire, on voyait sortir de la bouche de leurs figures des rouleaux de papiers qui contenaient ce que le peintre avait voulu exprimer ; les autres leur répondaient par de pareils rouleaux, et cela formait une espece de dialogue assez singulier. Le tems, qui perfectionne toutes choses, produisit dans la suite des hommes qui surent peindre l’ame et les sentimens ; la toile devint animée, et les dialogues cesserent. Pour revenir à ces Anciens, ils crurent avoir trouvé, par un effort de génie, le moyen de caractériser leurs têtes de Dieu, de saints, etc. en les environnant de gloire ; les arts croissant insensiblement, les uns les supprimerent, et suivirent en cela le conseil de la nature, d’autres leur substituerent une espèce de cercle lumineux, qui, quoique faux, ne détruisait pas entierement les parties éclairées. Mais la plus grande partie crurent, en les laissant, avoir surpassé les bornes de l’art ; les plus beaux tableaux perdirent une partie de leurs effets, et l’erreur s’est accrue au point où nous la voyons ; de sorte que, pour juger des tableaux de ce genre, il faut se prêter, malgré soi, à l’illusion, qui n’a pas souvent le moindre fondement.
Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant ;
Mais la nature est vraie, et d’abord on la sent.
Il est cependant des sujets où l’on ne pourrait pas s’en dispenser sans pécher contre l’histoire : tel, par exemple, que l’apparition du Seigneur à Moïse, celle des anges aux bergers, la Naissance du Sauveur, etc. La fable le souffre aussi dans plusieurs endroits ; l’allégorie l’exige encore ; un peintre aurait mauvaise grace de n’oser prendre l’essor, et de ne pas sortir quelquefois de la route ordinaire ; mais l’abus en est dangéreux. En vain un peintre aura surchargé une tête de rayons ; en vain croira-t-il avoir assez fait sentir la divinité ou la sainteté de son sujet ; il ne préviendra jamais que le stupide Vulgaire fait pour tout admirer. C’est ce feu divin, c’est cette ame qui doit animer cette tête ; c’est ce tour noble et imposant qui doit déifier cette figure, et la faire connaître pour supérieure aux autres ; autrement il ne trouvera jamais grâce devant un connaisseur détaché de préjugés, à moins qu’il ne retourne à l’ancien systême des rouleaux : alors on lui pardonnera peut-être en faveur de sa docilité aveugle ; il pourra même espérer la même indulgence de la postérité, qui le croira contemporain de ces premiers maîtres.
Dans :Peintres archaïques : « ceci est un bœuf »(Lien)